Le sujet qui a alimenté le débat ce week-end mérite qu’on y revienne avec un œil objectif et en laissant de côté les postures idéologiques. Faut-il travailler le dimanche ?
Tout d’abord, définissons ce qu’implique cette question, car le sujet n’est pas de remettre en cause les acquis sociaux en général, ni de rendre obligatoire le travail dominical : la polémique porte sur le cas de quelques magasins qui ont bravé l’interdiction qui leur a été faite d’ouvrir le dimanche. La loi de 1906 concède ce jour comme celui du repos hebdomadaire, avec de nombreuses exceptions liées aux domaines d’activités ou aux services publics.
Souvenons-nous de la France de 1905, qui était marquée par des tensions créées par la loi sur la laïcité et une grande contestation sociale. Cette France du début du XXe siècle n’a rien de comparable avec ce qu’elle est devenu 100 ans plus tard. L’électricité y est encore en devenir (1 parisien sur mille en est équipé), moins de deux cent mille Français ont le téléphone, l’automobile n’est réservée qu’à une petite élite.
A cette époque, les revendications sociales se réglaient en envoyant la troupe pour tirer sur les manifestants (Limoge en 1905, révolte des vignerons en 1907). En 1908, les grévistes de Draveil revendiquaient la journée de 10 heures quand il leur arrivait encore d’enchaîner 12 heures de travail d’affilée. Rendre obligatoire le jour de repos hebdomadaire, dans ce contexte, était donc un impératif et le choix du dimanche une évidence conforme à notre tradition culturelle.
Un jour de repos commun, pour les travailleurs comme pour les écoliers, est effectivement une bonne chose, une protection pour les salariés et un réel élément de cohésion sociale.
Néanmoins, force est de constater que ce principe a une multitude d’exceptions qui sont de plus en plus nombreuses avec l’évolution de nos modes de vie et de notre législation. Aujourd’hui notre économie est mondialisée et nous somme tous interconnectés. L’exigence de performance que subissent nos entreprises, sous peine de disparaître, les pousse à toujours plus d’innovation technique ou commerciale et le service devient parfois aussi important que le produit vendu.
Les salariés subissent la crise économique et financière qui attaque leur pouvoir d’achat, ainsi que les exigences croissante de leur employeur soumis, pour les plus importants, au diktat de leur actionnariat qui veut des taux de rentabilité toujours croissants. le chômage qui menace est un argument justifiant toutes les concessions des salariés.
Mais le salarié ayant pour ambition de profiter de son salaire, c’est aussi le principal consommateur.
Notre manière de consommer, pour les moins précaires d’entre nous, n’est plus guidée par le nécessaire et se confond souvent avec nos loisirs. Ainsi, et c’est paradoxal, le jour de repos est devenu un jour de consommation, qu’elle soit alimentaire, culturelle, ludique ou autre. Les temples de ce nouveau culte consumériste exigent en effet qu’on y consacre un temps toujours plus grand. En conséquence, un nombre toujours plus grand de travailleurs apportent ce service aux autres.
Nous sommes donc arrivés à une situation confuse où on a le droit d’ouvrir un magasin pour vendre du mobilier, des outils de jardinage, mais pas d’outils de bricolage, où l’implantation géographique peut définir d’une manière un peu artificielle l’autorisation d’ouverture (autorisé d’un côté d’une rue et pas de l’autre), sauf dérogation un peu arbitraire, de manière provisoire ou définitive. Certains crient à la concurrence déloyale, d’autres encore à la destruction du code du travail. Face à eux, leurs contradicteurs plaident que plus d’ouverture de magasins créerait des emplois, que les salariés sont volontaires pour gagner plus en travaillant plus, qu’une part importante du chiffre d’affaire se fait le dimanche…
Ces questions, ces paradoxes, doivent être étudiés avec sérénité. Supprimer le principe d’un jour commun de repos , le dimanche, comme une référence stable autour de laquelle des aménagements sont possible serait sans doute une erreur, mais marquer le repos du dimanche comme un dogme social a imposer avec intransigeance en serait sûrement une autre.
Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a donc décidé ce matin de confier une mission à Jean-Paul Bailly, (ancien président de La Poste), destinée à clarifier le cadre juridique du travail le dimanche, dont les conclusions sont attendues dans 2 mois. Il souhaite que la mission soit l’occasion d’un « dialogue approfondi avec l’ensemble des parties prenantes : partenaires sociaux, élus, représentants de la société civile, associations de consommateurs et de professionnels ».
Une bonne décision que je ne peux qu’approuver.